Andernos, sœur
d'Arès, est au fond du bassin une réplique d'Arcachon, avec sa ville
d'hiver et ses célébrités. Sarah Bernardt
viendra s'y réfugier pendant la grande guerre. Voici ce qu'elle en
dit dans ses mémoires :
"Entre les pins tordus et les marais salants,
L'océan comme un lac, s'infiltre languissant...
Il réfléchit un ciel fait d'argent et de bleu,
Ou flambe et resplendit sous un soleil de feu
Qui brûle l'horizon en prodiguant son or;
Puis recule à pas lents, et changeant le décor,
Fait d'un désert de flamme un désert de limon.
Dans les sveltes roseaux qui frangent ses contours,
Des troupeaux de bœufs roux enfouis jusqu'au fanon
Avancent pesamment tandis qu'à leur parcours,
Un grand vol de courlis, effaré, tournoyant,
Jette dans le silence un long cri larmoyant.
Ces pins, ce ciel pareil à celui de Lemnos
Et tout ce sable d'or, c'est la baie d'Andernos.
"Ces vers de mon fils, inspirés par les sites adorables du paysage,
sont tout à fait évocateurs quand on connait Andernos et ses
ravissantes promenades. Et cependant, quand il y a vingt ou
vingt-cinq ans, je fis en voiture la Côte d'Argent, Andernos ne
m'avait pas frappée ; ou, pour mieux dire, ce nom se dressait dans
ma pensée comme un très gentil paysage spolié par l'incurie de ses
habitants. Je revoyais sa plage couverte d'écailles d'huîtres et de
détritus déplaisants. Je me souvenais aussi de Lanton, de Taussat,
d'Arès qui était alors le principal village de la région.
"Etant à Arcachon en villégiature, j'avais eu le loisir de visiter
toutes ce petites stations balnéaires piquées tout autour du bassin
d'Arcachon. Je me rappelais surtout le Cap Ferret qui m'avait
frappée par son exposition sauvage et solitaire.
"Quand éclata
l'horrible guerre qui décima la jeunesse de l'Orient et de
l'Occident, j'étais dans ma propriété de Belle-Ile-en-Mer. Quoique
souffrante, je me fis transporter à Paris pour prendre ma part dans
le grand mouvement humanitaire; mais le mal dont je souffrais
empirant, je dus renoncer à fonder mon ambulance. Le chagrin que
j'en eus fut si grand que je devins tout à fait malade. Force me fut
de quitter Paris; mais il ne fallait pas songer à Belle-Ile, mes
souffrances ne me permettaient plus un voyage aussi accidenté.
"La Faculté voulut
m'envoyer à Arcachon. Mais, désirant m'enfermer pour pleurer mon
impuissance, Arcachon me semblait un centre trop vivant et trop
élégant. C'est alors que je me souvins de la Côte d'Argent. Mais
quel pays choisir ? Tous les noms des petits pays entourant le
bassin furent écrits sur des carrés de carton: le tout fut secoué
dans une petite corbeille tressée devant moi en mon honneur par les
enfants de Tucson, petits indiens de l'Arizona, et je déclarai que
je prendrais pour résidence le nom inscrit sur le troisième carton
que je tirerais. Il amena Andernos.
"Je fis la grimace, mais je tins parole. Et combien je m'en félicite
!"
(Extrait des souvenirs de Sarah Bernhardt cité
par Jean Claude Garnung dans son livre "Je vous écris d'Arcachon"
tome 1 (Edition Pimientos).
Une andernossienne passionnée, Marie-Hélène Ricquier, m'a envoyé
cette histoire, à propos d'une représentation théâtrale donnée par
Sarah Bernhardt à Andernos:
"Dans son livre sur Sarah Bernhardt, "Madame Quand Même" (1929), Guy
de Pierrefeux relate avec moult détails une représentation théâtrale
donnée dans une baraque de planches à Andernos le 15 août 1915 au
profit des œuvres patriotiques avec la participation de la célèbre
tragédienne, alors en convalescence à Andernos après l'amputation de
sa jambe :
Dès le matin,
arrivaient des véhicules de toutes sortes amenant de Bordeaux et de
la région des milliers de spectateurs. [...] Que dire de l'arrivée
de Sarah sur scène ? Elle y parut appuyée sur le bras de M. Louis
David (ndlr: maire d'Andernos). Ce fut du délire. Les
applaudissements étaient sans fin. [...] La merveilleuse voix,
pareille à des ondes harmonieuses se répandit sur ces masses
humaines. [...] Ce n'était plus du talent mais de la magie. [...] Ça
vous faisait passer des frissons dans le dos. Du premier vers
jusqu'au dernier, par cette sorte de magnétisme dont elle
connaissait le secret, elle soulevait le public, si bien qu'à
l'envolée finale, toute la salle, d'un même élan, comme mue par un
ressort, était debout criant, hurlant. Tout le monde avait des
larmes d'enthousiasme dans les yeux et le maire d'Andernos
bondissant sur la scène, lui embrassait les mains en répétant :
"Bravo! Bravo! C'est plus que beau! C'est divin!"
"Cet enthousiasme n'est pas partagé par tout le monde si on en juge
par ce texte écrit au dos d'une carte postale:
"Andernos, le 19 août 1915
"Chère Anita,
"J'ai reçu ta carte qui m'a fait bien plaisir.
"En effet je n'avais jamais entendu cette artiste, mais je croyais
que c'était encore mieux que ça, car elle n'a plus une jolie voix,
elle a la voix toute tremblante, il est vrai qu'à l'âge de 73 ans on
ne peut pas avoir le même charme de voix comme à vingt ans. Il y
avait beaucoup de monde qui était venu de loin pour la revoir et
l'applaudir, ils ont trouvé qu'elle avait bien changé, ils ne
pouvaient pas croire que c'était Mme Sarah Bernhardt qu'ils avaient
devant les yeux.
Ta grande amie
"Madeleine"
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